Idéol est un bel exemple d’entreprise française ayant réussi au Japon. Elle est spécialisée dans l’éolien en mer flottant. Vous la connaissez certainement pour sa technologie de fondation flottante Damping Pool®, utilisée en France dans les projets d’éoliennes flottantes Floatgen (Croisic) et Eolmed (Occitanie).
Savez-vous toutefois que cette entreprise ne s’est pas cantonnée à la France ? Créée en 2010, Idéol est déjà présente dans de nombreux pays, notamment en Europe, aux États-Unis et, vous l’aurez deviné, au Japon.
J’ai eu le plaisir d’échanger avec Bruno Geschier, le directeur commercial et marketing de l’entreprise. Il a très gentiment accepté de répondre à mes questions sur son expérience des affaires au Japon, que je vous invite à découvrir ici. Bonne lecture !
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Idéol ou la preuve qu’une entreprise française peut réussir au Japon.
Ameline Abdullah (A. A.) : D’après les annonces sur le site Web d’Idéol, vous avez déjà 4 partenaires au Japon.
Bruno Geschier (B. G.) : En fait, nous en avons bien plus que cela. Les autres n’ont pas été annoncés officiellement, car certains de nos partenaires japonais ne souhaitent pas dévoiler cette information à leurs concurrents.
Officiellement, nous sommes partenaires d’Hitachi Zôsen, de Shizen Energy, de Taisei, de Macquarie et de JERA. Nos collaborons également de longue date avec plusieurs universités, en particulier l’Université de Tokyo, et plusieurs agences gouvernementales pour la rédaction et la mise à jour de normes techniques liées à nos solutions.
A. A. : Vous êtes dans l’entreprise depuis 2014, mais vous avez une expérience bien plus longue au Japon. Pourriez-vous nous parler de votre expérience dans ce pays avant Idéol ?
B. G. : Personnellement, je fréquente le Japon depuis 1988. Depuis 7 ans, je m’y rends à un rythme d’une à deux fois par mois.
Je ne parle pas japonais. Je n’ai jamais suivi de cours ni eu l’immersion de longue durée nécessaire pour maîtriser cette langue. Toutefois, je connais bien évidemment les formules de courtoisie qui s’imposent. Je suis en mesure d’éviter les faux pas, en termes de codes et d’interaction sociale et professionnelle, et ai accumulé un vocabulaire de base qui me permet de me débrouiller dans la rue, les commerces et les transports.
A. A. : Selon certains conseillers en développement commercial au Japon, s’implanter dans ce pays demande beaucoup de temps et d’efforts. Il ne faut pas s’attendre à un retour sur investissement avant au moins 2 ans. Qu’en pensez-vous ?
B. G. : Je dirais que la réussite au Japon comprend plusieurs éléments. Il faut s’en donner les moyens, tant humains que financiers, sans espérer un retour sur investissement avant au moins 3 ans. Quand je parle de ressources humaines et financières, je pense par exemple au fait de ne pas se limiter à une visite commerciale ou de courtoisie par an.
Le Japon demande 2 choses. Tout d’abord, la crédibilité de la technologie, du produit ou du service que l’on prétend offrir. Les Japonais aiment la qualité, l’excellence, et ne tolèrent pas l’amateurisme. Cela vaut quel que soit le marché. Dans un environnement très technique, beaucoup d’organisations et d’agences gouvernementales ont des référents techniques qui sont des professeurs très réputés au sein des plus grandes universités. L’excellence doit donc être démontrée à tout point de vue.
« Les Japonais aiment la qualité, l’excellence et ne tolèrent pas l’amateurisme. »
À côté de cela, il y a le relationnel. Les Japonais fonctionnent par l’escalade hiérarchique. Vous entrez par le bas et devez établir une relation de confiance avec votre interlocuteur. C’est seulement lorsqu’il sera certain que vous ne lui ferez pas perdre la face devant son supérieur hiérarchique, que vous ne risquez pas de mettre à mal sa carrière professionnelle, qu’il daignera vous présenter à l’échelon supérieur. Vous devrez alors refaire tout cet exercice de crédibilité, jusqu’à convaincre cette nouvelle personne de ce que vous apportez, et ainsi de suite.
C’est toujours ainsi, sauf si vous avez un projet, des solutions ou des technologies que les Japonais souhaitent avoir et viennent chercher chez vous. Les Japonais ont la culture de l’analyse, de l’étude en amont. Il n’est pas dans leur culture d’improviser. Même s’ils vous ont repérés et veulent vous produits, ils vont vouloir s’assurer que la qualité est au rendez-vous, que vous pourrez livrer en temps et en heure et que le courant passe, humainement parlant.
Un exemple : il me semble très déconseillé d’envoyer en VIE, pour votre prospection commerciale au Japon, une jeune femme d’une vingtaine d’années et fraîchement diplômée. Vous aurez une candidate très frustrée par toutes les portes qui se fermeront devant elle, et votre entreprise aura seulement démontré son incapacité à s’adapter à la culture locale. Je suis toujours pour le fait de jeter des jeunes dans le bain, mais le Japon n’est pas le bon pays pour cela.
« Au Japon, on valorise les cheveux blancs, le pédigrée universitaire et le réseau. »
Idéol a eu de la chance, car c’est seulement après 6 mois au Japon que j’ai réussi à conclure un accord de collaboration avec de très grands groupes. Nous faisons figure d’exceptions au Japon. J’en ai pleinement conscience et je ne dirai jamais qu’en 6 mois, c’est gérable. Ma connaissance du pays a limité le nombre de gaffes vis-à-vis de mes interlocuteurs.
Il faut y aller avec beaucoup d’humilité. J’ai vu beaucoup de grands groupes français arriver là-bas en conquérants, prétendant pouvoir devenir des leaders au Japon puisqu’ils le sont en France. Il ne faut pas oublier que tout se passe dans une logique de partenariat. Il faut un interlocuteur local de qualité, dans le cadre d’une relation équilibrée.

Pour réussir au Japon, Idéol s’est dotée de moyens à la hauteur de ses ambitions.
A. A. : Dans une précédente conférence, vous avez indiqué avoir créé une filiale au Japon. En d’autres termes, vous avez tout sur place pour gérer Idéol au Japon ?
B. G. : Tout à fait. Après avoir signé le premier contrat là-bas, j’ai décidé de créer une structure locale sur place. J’ai recruté un directeur de filiale japonais, comme relais local, car j’étais conscient qu’à ce niveau, il fallait mettre en place des gens crédibles et ayant un minimum d’ancienneté, pour véhiculer la bonne image de l’entreprise au Japon. J’ai recruté un Japonais avec 20 années d’expérience professionnelle. Par la suite, j’ai recruté d’autres membres de l’équipe, avec toujours une vingtaine d’années d’expérience. Nous sommes dans un environnement technique, donc pour assurer notre crédibilité technique, il nous faut être irréprochables sur le plan technique et relationnel.
Au Japon, on valorise les cheveux blancs, le pédigrée universitaire et le réseau. Ça a été un gros investissement, mais j’ai préféré recruter de la qualité plutôt que de la quantité. Nous avons une équipe 100 % japonaise au lieu d’une équipe mixte. L’objectif était d’être au plus vite perçu localement comme une entité japonaise. Je ne renie pas nos origines, mais à chaque pays sa stratégie. Il me semble important, au Japon, de se positionner comme un réel acteur local. Je suis moi aussi en contact direct avec nos clients japonais. J’ai toutefois besoin de mon « traducteur culturel », pour interpréter certaines choses qui pourraient m’échapper.
A. A. : Que pensez-vous de ce fameux mythe des Japonais, qui même dans le monde des affaires, maîtrisent mal l’anglais ?
B. G. : Tout dépend des industries. Même au sein d’une même industrie, vous avez des gens qui se focalisent sur le marché domestique. Dans ce cas, c’est clairement compliqué. À l’inverse, d’autres industries rassemblent fondamentalement des gens qui évoluent à l’étranger. Là, les jeunes générations comme les plus anciennes ont souvent été envoyées dans d’autres pays. L’anglais est alors plus évident et maîtrisé.
Par contre, quel que soit le niveau d’expression orale, tous nos interlocuteurs possèdent un diplôme universitaire, souvent de très grandes universités. Même s’ils ne maîtrisent pas parfaitement la langue orale, ils ont globalement une très bonne compréhension de l’anglais écrit. Les Japonais aiment la perfection et n’ont jamais peur de travailler dur.

Le Japon, ça ne s’improvise pas.
A. A. : Pourriez-vous nous donner un exemple de difficulté que vous n’avez rencontrée qu’au Japon ?
B. G. : Je ne parlerais pas de difficulté, mais de particularité. Je pense à cette escalade hiérarchique. Il est importance de veiller à ce que notre interlocuteur ne perde pas la face aux yeux de sa hiérarchie. Dans tous les pays, personne n’aime perdre la face, mais je dirais que l’erreur est moins tolérée au Japon. Le sens de l’honneur y est tel que l’erreur, même pardonnée, est moins bien vécue qu’ailleurs par son auteur.
Je pense aussi au fait qu’on ne peut pas se contenter d’y aller une fois par an. Si on ne dispose pas des ressources humaines et financières pour pouvoir y aller très fréquemment et s’y investir à long terme, on n’a rien compris au Japon et on n’ira nulle part. Le Japon, c’est une culture du long terme. Cela sous-entend une approche adaptée. Ce n’est pas du one shot.
A. A. : Si vous deviez donner un seul conseil à une entreprise française qui s’intéresse au Japon ?
B. G. : Assurez-vous que vous avez les moyens de votre ambition. Les moyens humains et financiers. Il vaut mieux ne pas faire que mal faire. Au Japon, mal faire revient à se brûler.
A. A. : Si vous deviez recommander une personne ou un organisme qui vous a vraiment été utile au Japon ?
B. G. : Je pense à Business France, pour ses compétences et son relationnel. Il dispose d’un vrai réseau politique et d’une crédibilité. Business France nous a apporté plus de visibilité. On leur a demandé d’organiser des signatures de contrats pour nous, pour leur donner un caractère plus officiel. On a surtout bénéficié de la disponibilité de l’ambassadeur et d’autres pour donner un peu plus de visibilité à des actions que l’on menait. Leur réseau diplomatique nous a aussi servi pour d’autres sujets, par exemple la validation de partenaires locaux.
Je ne dirais pas qu’ils nous ont permis de réussir, mais qu’ils ont été l’outil local qui nous a bien servi. Tant les services de l’ambassade que ceux de business France peuvent être utiles à certaines entreprises, dans certains contextes.
A. A. : Pour en revenir plus particulièrement au domaine des énergies renouvelables, le Japon vaut-il la peine qu’on y investisse ?
B. G. : Oui, bien entendu. En revanche, il faut comprendre que les Japonais n’ont pas besoin des entreprises étrangères pour développer la technologie ou pour financer des projets, contrairement à d’autres pays comme la Taiwan. Beaucoup de grandes entreprises, françaises comme étrangères, ont vu le Japon comme un réel marché, mais se heurtent à un mur infranchissable.
Le Japon est en train de développer ses connaissances en matière d’énergies renouvelables. Beaucoup d’entreprises japonaises ont investi dans des projets partout dans le monde. De ce fait, elles ont acquis de l’expérience et des connaissances pour mener à bien des projets toutes seules, d’un point de vue technique. Elles ont investi dans l’apprentissage grâce à des projets partout dans le monde en compagnie de leaders. Quant au financement, le Japon a ce qu’il faut.
Le Japon reste un archipel, avec une forme de protectionnisme. Pourquoi aller donner de la richesse à d’autres, alors qu’on peut développer la technologie soi-même ? Au final, que peut apporter au Japon un acteur étranger ? Pas grand-chose. Comme Idéol, il faut apporter une technologie bien spécifique qui tombe à point nommé et qui a fait ses preuves.

À chaque pays sa méthode.
A. A. : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
B. G. : En général, lorsqu’on aborde des marchés comme le Japon, la difficulté est plus interne qu’externe. Il faut vendre en interne ce besoin de ressources et de moyens pour du long terme. Trouver des clients et des partenaires au Japon, c’est finalement moins compliqué parfois que de justifier en interne les investissements nécessaires pour y arriver. Heureusement, à Idéol, cela n’a pas été le cas, car nous avons une culture assez internationale. Je n’ai pas dû me battre pour disposer des moyens dont j’avais besoin.
Je sais toutefois, de mes expériences précédentes, qu’il est parfois très difficile de convaincre le conseil d’administration ou la direction générale de mobiliser des ressources humaines et financières pour développer son business au Japon. Surtout que les premiers résultats vont peut-être se faire sentir dans 2, 3 voire 4 ans. C’est un marché qui n’est pas adapté aux entreprises qui recherchent des débouchés commerciaux dans l’urgence.
« Le Japon, c’est une culture du long terme. »
C’est une réalité très générale. Je l’ai constaté depuis toutes ces années que je développe des entreprises, que ce soit seul en tant qu’entrepreneur ou en tant que directeur commercial d’entreprises de différentes tailles. Pendant très longtemps, le développement à l’international a été perçu comme la solution d’urgence quand le marché domestique s’effondre. Pourtant, les marchés internationaux, et certains en particulier comme le Japon, ne sont pas du tout adaptés à ce besoin de résultats immédiats.
Vous avez des entreprises qui n’ont pas réagi suffisamment à temps en voyant leur marché domestique diminuer. Elles se lancent dans l’export, mais elles n’ont déjà plus beaucoup de moyens pour mettre les bonnes personnes en charge de ce développement à l’international. Elles se retrouvent avec des personnes mauvaises en anglais et ayant peu d’expérience, qui ne se rendent pas compte des spécificités de chaque marché. Ces personnes vont mettre les dernières petites ressources dont l’entreprise dispose dans des marchés qui prennent du temps à développer.
« C’est un marché qui n’est pas adapté aux entreprises qui recherchent des débouchés commerciaux dans l’urgence. »
Ce que je veux dire, c’est que le développement à l’international n’est pas quelque chose qui s’improvise. Ce n’est pas un recours de dernière minute. Malheureusement, je constate que beaucoup d’entreprises, au lieu de l’intégrer très tôt dans leur stratégie, l’intègrent plutôt en seconde phase de développement. Pourtant, leur marché est peut-être plus à l’étranger qu’en France. C’était le cas pour Idéol. Après avoir analysé le marché, j’ai vu que la priorité était d’aller là où il y avait du marché. Il ne fallait pas attendre que le marché français se développe pour y faire ses preuves avant de viser l’international. J’ai insisté pour privilégier le Japon avant la France, et cela a payé. Les résultats sont là.
Il ne faut pas avoir peur de l’international, car il se peut que les marchés prioritaires soient d’abord à l’étranger avant d’être domestiques. Il faut aller à l’international sans appréhension. Cela sous-entend aussi de bien s’entourer de gens compétents qui ont cette expérience, cette culture de l’entrepreneuriat. On ne part pas à l’étranger sans avoir un minimum de fibre entrepreneuriale. Chaque pays est différent et chaque contexte est différent. Ce n’est pas parce que quelque chose fonctionne en France et en Allemagne que cela fonctionnera partout ailleurs. Chaque fois, on recrée une entreprise. C’est quelque chose que le Japon illustre très bien.
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Je tiens à remercier chaleureusement Bruno Geschier, qui est parvenu à libérer un créneau pour cette interview, malgré un emploi du temps très chargé. Il est rare de pouvoir bénéficier ainsi de l’expérience d’une personne qui connaît bien le Japon et qui a su y trouver le succès. J’espère que son point de vue et ses conseils vous seront utiles.
Pour aller plus loin.
Voici quelques liens qui pourraient vous êtes utiles pour la suite de vos démarches au Japon.
- Pour tout savoir sur Idéol, sa technologie Damping Pool® et ses réussites au Japon, rendez-vous sur le site Web d’Idéol.
- Consultez également le site Web de Business France pour en savoir plus sur cette structure qui vous est recommandée par Bruno Geschier.
- Vous avez besoin d’aide pour comprendre la langue japonaise ? Contactez EnR Japon.